Extention des délais fiscaux: projet de loi du 3 octobre 2022

Extention des délais fiscaux: projet de loi du 3 octobre 2022

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Le gouvernement vient de déposer au parlement un volumineux projet de loi « portant des dispositions fiscales et financières diverses ». Ce projet revêt une grande importance pour tous les contribuables, notamment du fait de l’extension des délais d’investigation et d’imposition. Sous réserve de modifications apportées au cours du processus parlementaire à venir, les nouveaux délais se présenteraient comme suit.

1. NOUVEAUX DELAIS D'INVESTIGATION ET D'IMPOSITION

Les délais sont en règle de 3 ans (absence de fraude) et de 7 ans (fraude). 

Le projet de loi vise à instaurer 4 délais d'investigation et d'imposition de respectivement 3,4,6 et 10 ans:

  • 3 ans dans les situations normales. Ce délai se compte à partir du premier janvier de l’année désignant l’exercice d’imposition ; pour les sociétés qui clôturent leur exercice comptable à une autre date que le 31 décembre, le délai se compte à partir de cette autre date. Il s’agit du même délai que celui qui prévaut actuellement hors fraude ; 
  • 4 ans en cas d'absence de dépôt de déclaration fiscale ou déclaration tardive;    
  • 6 ans dans certain cas spécifiques (liste limitative) comportant un élément transfrontalier: 
    • les sociétés qui effectuent des paiements à des paradis fiscaux qui doivent être déclarés; 
    • les sociétés faisant partie d’un groupe multinational soumises à certaines obligations de déclaration(s) en matière de prix de transfert ; sont visées les sociétés faisant partie d’un groupe multinational dont le chiffre d’affaires consolidé est d’au moins 750 millions d’euros ainsi que les sociétés qui, faisant partie d’un groupe multinational, ont plus de 50 millions de produit d’exploitation et produit financier, un pied de bilan de plus d’1 milliard d’euros ou une moyenne de personnel supérieure à 100 ;
    • les déclarations contenant une imputation de la quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE) ;
    • les déclarations de précompte mobilier comportant des exonérations, renonciations ou réductions accordées en application des conventions fiscales ou des directives ;
    • des informations sont obtenues de l’étranger et concernant : 
      1. les dispositifs transfrontaliers devant faire l’objet d’une déclaration; ou,
      2. les informations des opérateurs de plateformes si les informations pour un contribuable atteignent au minimum 25.000 €.
  • 10 ans pour une "déclaration complexe"; est considérée comme complexe la déclaration qui concerne:
    • ​une « construction juridique » devant être déclarée; ou
    •  un "dispositif hybride"; ou 
    • des bénéfice non distribués provenant d'un montage fiscal "non authentique"
  • 10 ans en cas de fraude (en lieu et place de 7 ans actuellement) ; la notification au contribuable par l’administration des indices de fraude est supprimée et remplacée par une notification préalable de présomption de fraude et de volonté d’appliquer le délai étendu

Les nouveaux délais de 6 ans et 10 ans en cas de déclaration complexe ne pourront pas être utilisés par l’administration pour remettre en cause des éléments simples, à savoir certains frais (voiture, réception, restaurant, vêtements), avantages sociaux, amendes ou encore impôts régionaux, en dehors des cas de fraude. La question de l’étendue des possibilités de rectifications (les seuls éléments complexes ou l’ensemble des éléments hormis les quelques éléments définis comme simples par la loi) est discutable : le projet de loi semble d’application très large, mais ceci soulève selon nous plusieurs objections (notamment des questions constitutionnelles de discrimination induites par ce projet de loi).  

En contrepartie, le délai de réclamation par un contribuable contre une imposition est porté à 1 an

2. DELAIS EXTRAORDINAIRES


Les délais extraordinaires existants demeurent inchangés mais leur application est, dans certains cas, élargie en ce qui concerne le précompte mobilier et professionnel. Ces délais extraordinaires seraient ainsi applicables lorsque :

  • • un contrôle ou une enquête se rapportant à l’application des impôts sur les revenus font apparaitre que le précompte mobilier ou le précompte professionnel dû n’a pas été déclaré ou a été déclaré tardivement ou de manière incomplète ou incorrecte au cours d’une des 5 années qui précèdent celle de la constatation ; l’administration dispose alors d’un délai de 12 mois à dater de ladite constatation pour procéder à une imposition supplémentaire ; 
  • des informations de l’étranger font apparaître que des revenus imposables, ou le précompte mobilier ou professionnel dû n’ont pas été déclarés en Belgique au cours d’une des 5 années (7 années en cas de fraude) qui précèdent celle pendant laquelle les informations ont été transmises à l’administration belge ; l’administration dispose alors d’un délai de 24 mois à dater de cette transmission pour procéder à des contrôles et impositions supplémentaires; 
  • une action judiciaire fait apparaître que des revenus, ou le précompte mobilier ou professionnel dû n’ont pas été déclarés au cours d’une des 5 années qui précèdent celle de l’intentement de ladite action ; l’administration dispose alors, pour établir une cotisation supplémentaire, d’un délai de 12 mois à dater du moment où la décision relative à cette action judiciaire n’est plus susceptible d’opposition ou de recours ; 
  • des éléments probants font apparaître que des revenus, ou le précompte mobilier ou professionnel dû n’ont pas été déclarés au cours d’une des 5 années qui précèdent celle pendant laquelle ces éléments probants sont venus à la connaissance de l’administration ; elle dispose alors d’un délai de 12 mois à dater de cette transmission pour procéder à une imposition supplémentaire;
  • il ressort d’une procédure internationale de règlements des différents fiscaux qu’un impôt est encore dû ; l’administration dispose alors d’un délai de 12 mois à dater de la fin de cette procédure pour procéder à une imposition supplémentaire.

3. CONSERVATION DES LIVRES ET DOCUMENTS


Parallèlement à cette extension des délais d’imposition et de contrôle, il est également prévu d’étendre le délai de conservation des livres et documents à 10 ans (actuellement 7 ans).    

4. ENTREE EN VIGUEUR

 Ces nouveaux délais seraient applicables à partir de l’exercice d’imposition 2023 sans effet rétroactif : les exercices d’imposition 2022 et antérieurs resteraient soumis aux anciens délais.

5. COMMENTAIRES

Cet allongement des délais revêt une grande importance, tant dans le processus de gestion interne administrative (conservation des documents et justifications) que dans le processus de risk management (risque découlant notamment d’évolutions jurisprudentielles, tant pour les opérations ordinaires que pour les restructurations et les acquisitions au travers de l’ampleur des due diligence requises dans le futur).  

Cette tendance à allonger les délais de contrôle et d’imposition pose de multiples questions. En effet, si d’une part l’Etat est naturellement en droit de procéder à une juste perception de l’impôt, ce droit doit d’autre part être exercé dans le respect du droit à la sécurité juridique, des principes d’égalité et des droits de la défense notamment. 

Or, la sécurité juridique est naturellement diminuée lorsque l’administration peut remettre en cause une déclaration fiscale introduite 10 ans auparavant sans même qu’il ne soit question de fraude. A titre d’exemple, une évolution de la jurisprudence favorable à l’administration, même postérieure aux exercices en cause, suffirait à remettre en cause les positions du contribuable sur 10 ans.  

De même, ces nouveaux délais opèrent selon nous une distinction injustifiée entre les contribuables répondant aux nouveaux critères spécifiques et les autres : les premiers pourraient être contrôlés au cours des nouveaux délais de 6 et 10 ans sur quasiment l’ensemble de leur déclaration (et non pas uniquement sur les critères visés par la loi) et ce, nonobstant l’absence de fraude alors que les seconds ne pourront être contrôlés dans le délai de 10 ans que moyennant une fraude et une notification préalable. . 

Enfin, des délais d’imposition de 10 ans portent atteinte aux droits de la défense dans la mesure où cette dernière est naturellement plus difficile à produire 10 ans après les faits particulièrement lorsqu’il s’agit de l’application d’une législation complexe et qu’en ce qui concerne les entreprises, le personnel en place au moment des faits risque de ne plus être présent.  

Pour justifier l’extension des délais, l’exposé des motifs invoque notamment des délais particulièrement longs lors des échanges d’information entre Etats. Or, à l’heure où l’administration n’a jamais disposé d’autant de données résultant de l’échange automatique d’informations, où elle recourt au data mining et à l’intelligence artificielle, et où les délais postaux sont le plus largement surannés, cette justification étonne.


​                                Date: 07/10/2022


La présente lettre d'information a vocation à fournir une information générale, et ne constitue pas un conseil personnalisé sur mesure. Bien que rédigée avec soin, elle ne doit pas être considérée comme un avis juridique et, à ce titre, n'engage pas la responsabilité du cabinet d’avocats Advisius.

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