Le droit de visite du fisc sous la loupe

Droit de visite : le fisc peut-il ouvrir les armoires et vider les poubelles au cours d’une visite fiscale ?

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OUI, SELON LA COUR DE CASSATION

La Cour de cassation s’est prononcée à plusieurs reprises ces derniers mois pour préciser l’étendue du droit de visite de l’administration fiscale.

La Cour décide que sauf opposition formelle du contribuable, l’administration est en droit d’ouvrir – sans les forcer - les armoires et tiroirs fermés, d’entrer dans des pièces fermées ou de vider des poubelles afin de consulter les documents qui s’y trouvent sans qu’une autorisation spécifique ne doive à chaque fois être donnée par le contribuable.

La Cour de cassation précise également que le consentement du contribuable est nécessaire pour donner l’accès aux locaux et qu’il peut être retiré à tout moment.


Droit de visite - Caractéristiques


Les caractéristiques principales du droit de visite dont dispose l’administration fiscale (article 319, CIR92) peuvent être synthétisées comme suit :


  • Le droit de visite peut être exercé à tout moment pour autant qu’une activité soit exercée. 
    • de jour comme de nuit ; 
    • pas d’avertissement préalable requis ;
    • si l’entreprise est fermée : pas de droit de visite (impôts sur les revenus).
  • Le droit de visite doit être ciblé.
  • Les  objectifs sont  spécifiquement  visés  par  la  loi  (constat  de  l’activité  exercée  et  de son importance ; la vérification des stocks ; la vérification des objets, installations et matériel roulant; la  vérification  des  livres  et documents  se trouvant  dans  les  locaux  ; vérification  du système comptable informatique).   
  • Le droit de visite est réservé aux fonctionnaires munis d’une commission.
  • L’accès doit être donné par le contribuable ou son mandataire. 
    • l’administration ne dispose pas d’un pouvoir de pénétrer par la force dans les locaux professionnels ; 
    • le contribuable ou son mandataire doit pouvoir refuser l’accès afin de vérifier le respect par le fonctionnaire des conditions légales (commission, raisons précises de la visite).
  • Le droit de visite ne constitue pas un pouvoir de perquisition ; le droit de visite fiscale a pour objet la détermination de la dette d’impôt sans pouvoir coercitif alors que dans le cadre d’une perquisition en matière pénale, la coercition est autorisée et l’objet est le constat et la recherche de toute infraction. 

Arrêts de la Cour de cassation des 16 juin et 6 octobre 2023

Les arrêts des 16 juin et 6 octobre 2023 rendus par la Cour de cassation précisent ce qu’il en est quant au  consentement nécessaire du contribuable et quant à la nature du droit de visite (recherche active ou passive).


Dans son arrêt du 16 juin 2023, la Cour de cassation confirma que le consentement du contribuable est requis pour qu’une visite fiscale puisse être entamée. Ce consentement doit en outre exister en permanence au cours de la visite. 


L’arrêt du 6 octobre 2023 précise que le consentement donné ab initio perdure tout au long de la visite tant que le contribuable ne le retire pas formellement et qu’au cours de la visite l’administration fiscale dispose d’un droit actif de recherche.   


Ainsi, selon la Cour de cassation, une fois l’accès aux locaux donné par le contribuable, l’administration a le droit d’examiner les livres et documents qui se trouvent dans lesdits locaux et notamment dans :


  • des meubles fermés ; 
  • des poubelles ;
  • des locaux fermés ;  

et ce, sans redemander l’autorisation du contribuable.

 

Toutefois, toujours selon la Cour de cassation :  


  • le contribuable peut toujours notifier en cours de visite qu’il s’oppose formellement à la (poursuite de la) consultation des livres et documents ; 
  • si les meubles ou pièces sont verrouillés, l’administration ne peut les déverrouiller de force ; dans 
  • ce cas, l’intervention et le  consentement du contribuable seront à nouveau nécessaires pour procéder à leur ouverture éventuelle, le contribuable pouvant s’y opposer.

Commentaires

L’arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2023 est dans la lignée de l’arrêt du 16 juin 2023. Ces deux arrêts se fondent par ailleurs sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 octobre 2017 qui précisait notamment :

  • que l’accord préalable du contribuable quant à l’accès aux locaux est requis ; 
  • que l’administration a « le droit d’examiner au cours de la visite quels livres et documents se trouvent dans les locaux et de les contrôler sans devoir demander au préalable leur remises »  et que « l’administration fiscale [n’est] pas tributaire du choix du contribuable de déterminer quels documents il permet de consulter et que le contribuable [est] également tenu de coopérer afin d’ouvrir par exemple les des armoires ou coffres fermés » .

L’interprétation du droit de visite par nos hautes juridictions semble donner ainsi un droit de recherche active à l’administration fiscale. Cette dernière disposerait en effet d’un droit de fouille et de consultation sans limites de tous livres et documents se trouvant dans les locaux professionnels et ce, que : 

  • ces documents soient enfermés ou en libre accès ; 
  • ces documents soient de nature comptable ou relatifs, par exemple, à des inventions ou procédés industriels ;
  • ces documents soient relatifs à des courriers avec les administrations ou relatifs, par exemple, à de négociations confidentielles ;
  • ces documents soient relatifs ou non à la vie privée ;
  • ces documents soient relatifs ou non à des exercices prescrits.

Certes, à l’issue de cette fouille et consultation sans limites, l’administration ne pourrait retenir que les documents  nécessaires en  vue  de constater  la  régularité de la déclaration  fiscale. Mais  entretemps, l’administration aura effectivement pu prendre connaissance – fût-ce prima facie – d’un ensemble de courriers,  plans,  procédés,  etc.,  constituant  la  vie  d’une  entreprise  et  n’étant  pas  nécessaire  à l’établissement de l’impôt. 


Cette interprétation extensive du droit de visite est néanmoins critiquable aux motifs suivants :


  • les entreprises comme les personnes physiques ont droit au respect de la vie privée en application de la Convention européenne des droits de l’Homme; un droit de visite actif permettant une fouille et consultation sans limites de tous les livres et documents pourrait constituer une violation de ce droit ; ce n’est toutefois pas l’avis de la Cour de cassation qui rejette l’argument ;
  • la consultation de documents relatifs à des exercices prescrits est illégale, car par définition une telle consultation ne peut en principe servir à l’établissement d’un impôt ;
  • enfin, cette interprétation semble  contraire à la volonté du législateur ; en effet, ce dernier,  dans l’exposé des motifs énoncé en 2019 concernant l’introduction du Code du Recouvrement Amiable et Forcé en matières fiscales, a rappelé que le droit de visite ne constituait ni un droit de recherche active ni une perquisition.

Naturellement, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, le contribuable peut à tout moment s’opposer au droit de visite. Mais cette opposition devra être dûment motivée (validité de la commission,  caractère  privé  des  documents,  documents  ‘prescrits’,  etc.).  Il  est  en  effet  rappelé que l’administration dispose de différents moyens pour sanctionner le contribuable qui ne collabore pas dans le cadre des investigations et contrôles qu’elle mène : 


  • sanctions administratives (amendes) ; 
  • imposition d’office (en cas de refus de communication) ;
  • dénonciation au parquet ;
  • requérir devant le juge le paiement d’astreintes

​==>    possibilité pour le contribuable de faire valoir devant le juge le caractère non nécessaire ou privé ​des informations demandées.


CONCLUSION 

L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de visite fiscale semble étendre les pouvoirs de l’administration fiscale en consacrant le principe d’un droit de recherche active. Certes, le contribuable peut s’opposer ou interrompre le droit de visite mais il s’expose alors à des sanctions qui peuvent être importantes si la motivation n’est pas reconnue justifiée par la suite.


Cette évolution, qui rapproche de plus en plus la notion de visite fiscale à  celle de perquisition, est regrettable. Car en définitive, le fait d’exercer une activité économique expose à des mesures quasiment aussi intrusives que la perpétration d’un crime ou d’un délit.   


Dans ce contexte une intervention du législateur semblerait opportune afin de définir plus précisément les droits accordés à l’administration dans le cadre d’une visite fiscale.  À cet égard, une proposition de loi fut déposée le 3 février 2015 visant à préciser que s’agissant des livres et documents, l’administration fiscale ne disposait pas d’un droit de recherche actif. Aucune suite n’y a toutefois été réservée. 

​                                Date: 19/12/2023


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