Abus de conventions préventives de la double imposition

Un abus de convention peut-il être sanctionné sur la base de la disposition anti-abus belge?

Conventions préventives de la double imposition

Un abus de convention peut-il être sanctionné sur la base de la disposition anti-abus belge?

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Le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a décidé que la disposition anti-abus nationale belge est susceptible d’être appliquée dans le cadre de l’application de la Convention préventive de la double imposition (CPDI) conclue entre la Belgique et la Suisse (Tr. N. Bruxelles, 21.04.2023). Sur la base de cette disposition, le tribunal refuse à une société belge le droit de bénéficier de la réduction de retenue à la source belge prévue par la CPDI belgo-suisse sur des intérêts payés. 

FAITS ET DECISION DU TRIBUNAL

La société belge a payé en 2017 des intérêts à une société suisse liée en revendiquant une exonération de précompte mobilier (pour rappel le précompte mobilier belge s’élève en principe à 30%). L’administration fiscale belge refuse l’exonération et procède à l’enrôlement du précompte mobilier.

La société conteste cet enrôlement et porte le litige devant le Tribunal où elle invoque trois moyens justifiant une exonération du précompte mobilier :

  •  l’exonération de droit interne pour les sociétés de portefeuille ;
  • l’exonération prévue par la Convention du 26 novembre 2004 entre l’U.E. et la Suisse sur les intérêts et redevances (traité d’application de la Directive Intérêts et Redevances à la Suisse);
  • l’exonération / réduction prévues par la CPDI belgo-suisse. 

 S’agissant du premier moyen, le Tribunal estima que la société belge ne pouvait être qualifiée de société de portefeuille : au cours de la période imposable précédant celle de l’attribution des intérêts, elle ne disposait pas de suffisamment d’actions ou parts ayant la nature d’immobilisations financières (moins de de 50 % du total du bilan) pour pouvoir invoquer cette exonération.

 S’agissant du second moyen, le Tribunal estima que la Convention entre l’U.E. et la Suisse du 26 novembre 2004 n’était pas applicable car la société suisse bénéficiaire des intérêts, bien que soumise en principe à l’impôt des sociétés au taux de 21,5 %, était soumise, en fait, à un impôt effectif de seulement 1,87 % (à la suite de l’obtention d’un ruling de l’administration fiscale suisse). 

S’agissant du troisième moyen relatif à l’application de la CPDI, le Tribunal examine s’il y a « abus » de la CPDI Suisse :

  • Le Tribunal estime tout d’abord qu’un « abus de CDPI » peut être combattu par l’administration belge au moyen d’une disposition anti-abus nationale, en l’occurrence, l’article 344, § 1 du Code des impôts sur les revenus (CIR).  Pour le Tribunal, une disposition anti-abus nationale n’entre pas en conflit avec les CPDI car pareille disposition est conforme aux principes généraux selon lesquels une CPDI ne peut être appliquée dans un contexte d’abus.
  • Il est question d’abus pour le Tribunal lorsque (i) le contribuable a l’intention d’obtenir un avantage de la Convention en créant artificiellement une situation qui formellement répond aux conditions pour bénéficier de cet avantage (élément subjectif) et (ii) lorsque l’octroi de cet avantage est dans ce cas spécifique contraire à l’objectif de la règle de la Convention (élément objectif).
  • Au cas particulier, le Tribunal constate que la société belge a emprunté auprès de la société suisse du groupe, puis, par le biais de restructurations et transactions circulaires, a redirigé de l’argent vers la société suisse, en grande partie sous la forme d’un prêt sans intérêt. Le Tribunal estime être en présence d’une construction totalement artificielle par laquelle la société belge maintient artificiellement un besoin de financement et invoque des avantages fiscaux spécifiques ayant pour conséquence de transférer des intérêts/bénéfices vers une entité étrangère faiblement taxée. Le Tribunal constate que les opérations n’ont, par ailleurs, aucune justification économique. 

 Le Tribunal estime donc sur base des faits, être en présence d’un abus de la Convention et refuse donc de l’appliquer sur pied de la disposition anti-abus générale belge.

COMMENTAIRE SUR L'APPLICATION D'UNE DISPOSITION NATIONALE ANTI-ABUS A UNE CPDI

La décision du Tribunal d’appliquer la disposition anti-abus belge pour refuser l’application d’une CPDI nous semble critiquable, notamment pour les raisons suivantes :

  • En principe, la disposition anti-abus belge a vocation à s’appliquer à un contexte national. Le libellé de l’article 344 CIR est à cet égard sans ambiguïté : sont visés les abus aux dispositions du CIR uniquement.
  • En ce qui concerne la CPDI belgo-suisse, la convention elle-même ne contient pas de mesure anti -abus semblable à la mesure anti-abus belge. Une disposition générale anti-abus est bien présente dans la « Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice »  (MLI). Mais cette Convention MLI n’était pas en vigueur à l’époque des faits et la Suisse semble, en tout état de cause, ne pas l’avoir rendue applicable à la CPDI belgo-suisse. Par conséquent, il n’existe pas de règle bilatérale qui rendrait la disposition anti-abus belge applicable à l’application de CPDI belgo-suisse.

 La mise en œuvre d’une clause anti-abus nationale unilatérale par le Tribunal est donc questionnable dans un contexte bilatéral ou multilatéral. Dans pareil contexte, la clause anti-abus se doit d’être bilatérale ou multilatérale à l’instar de ce que prévoit la convention MLI ou la Directive ATAD. C’est bien pour cela que la Cour de Justice européenne annula en son temps une mesure anti-abus unilatérale adoptée par le législateur belge dans le contexte d’une Directive en matière de sécurité sociale (CJE, 11 juillet 2018, Commission c/ Belgique).   

CONCLUSION

La décision du Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles met en évidence la difficulté croissante à faire admettre par l’administration et les cours et tribunaux l’effet juridique de constructions mises en place et pour lesquelles les justifications économiques sont difficiles à rapporter.

 Elle s’inscrit ainsi dans la politique et jurisprudence des organisations internationales (OCDE, UE, CJUE) qui estiment qu’il ne convient pas de protéger les personnes qui cherchent à payer moins d’impôts en créant des situations artificielles leur permettant de bénéficier des dispositions avantageuses.

 Néanmoins, cette politique doit être menée dans le respect de la légalité et au cas particulier, le refus par le Tribunal d’appliquer la CPDI semble critiquable.

 S’agissant d’un premier jugement, un appel est possible. Affaire à suivre donc.


​                                Date: 03/07/2023


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