Droit de visite de l’administration : limites liées à la période contrôlée et au secret professionnel
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La Cour d’appel de Gand a rappelé dans son arrêt du 25 juin 2024 que le droit de visite de l’administration fiscale est limité, par la « cible » de la visite d’une part et le secret professionnel attaché à certaines données d’autre part. Ainsi, lorsque l’administration annonce un contrôle portant sur une période déterminée, les données qui ne se rapportent pas à cette période ne peuvent en général pas être consultées par le fisc sous peine de violer le caractère « ciblé » du contrôle. La Cour d’appel de Gand confirme également que le contribuable peut se prévaloir du secret professionnel attaché à certaines données/conseils même si le contribuable n’est pas lui-même dépositaire du secret.
FAITS
Dans cette affaire, l’administration fiscale a procédé à la visite des locaux professionnels des contribuables. Le contrôle portait sur la période normale d’investigation de 3 ans prévue en matière d’impôts sur les revenus.
À l’entame du contrôle, les contribuables donnèrent leur accord sur la visite. Mais plus tard, au cours du déroulement de ces visites, des divergences apparurent entre l’administration fiscale et les contribuables en ce qui concerne la prise de connaissance (et la copie) de certaines données, plus particulièrement,
- des données antérieures à la période contrôlée ; ou
- des données couvertes par le secret professionnel.
À la demande des contribuables, et en présence de leur huissier de justice, les données litigieuses furent copiées/saisies, puis mises sous scellés et emportées par l’administration fiscale.
Par la suite, l’administration fiscale et les contribuables ne parvinrent pas à s’entendre sur la levée des scellés. L’affaire fut par conséquent portée devant la justice en référé, et sur le fond. L’administration fiscale interjeta appel de la décision du Tribunal de première instance sur le fond, amenant ainsi la Cour d’appel de Gand à se prononcer.
DÉCISION DE LA COUR D’APPEL DE GAND
Limite du droit de visite liée à la période contrôlée
La Cour d’appel de Gand estime qu’eu égard au caractère nécessairement ciblé d’une visite fiscale, les informations susceptibles d’être recueillies doivent essentiellement porter sur les années visées par le contrôle, au cas particulier la période de 3 ans prévue en matière d’impôts sur les revenus.
Par conséquent, lors de la visite fiscale, l’administration fiscale ne peut pas exiger de consulter tous documents et pièces relatifs aux années antérieures à la période contrôlée.
Limite du droit de visite lié au secret professionnel
La Cour d’appel de Gand a confirmé que le secret professionnel peut être invoqué par toute personne à qui il est demandé de produire des documents/informations même si cette personne n’est pas elle-même tenue au secret professionnel. Le client en relation avec son avocat ou son expert-comptable peut ainsi refuser de fournir des informations/documents relatifs à cette relation s’il en est requis par l’administration fiscale.
Par ailleurs, la Cour a repris de façon très circonstanciée les conditions d’application du secret professionnel dans le cadre du droit de visite :
- Les professionnels visés
La Cour estime que le secret professionnel invoqué peut aussi bien être celui de l’avocat que celui
d’autres professionnels également soumis au secret professionnel belge. Ainsi, l’expert-comptable est
également visé.
- Les données visées
La confidentialité s’étend à toutes les données échangées au cours de l’exercice de la profession
soumise au secret professionnel. Ainsi :
- L’origine des données n’est pas pertinente : sont couvertes aussi bien les données provenant du client que les données provenant du professionnel soumis au secret ;
- La forme de l’échange des données n’est pas pertinente : sont visés, lettres, courriels, comptes-rendus, notes personnelles, notes internes reprenant en substance le conseil, … ;
- En ce qui concerne les avocats, la confidentialité n’est pas limitée à la représentation du client dans une procédure judiciaire existante. Sont également visés les avis même si ces avis ne conduisent pas à un litige.
- Les impôts et taxes visés
Le secret professionnel peut être invoqué aussi bien en matière d’impôts sur les revenus - où une
disposition expresse le prévoit, qu’en matière de T.V.A.. La Cour estime en effet qu’en matière T.V.A., même si une disposition expresse ne le prévoit pas, le secret professionnel doit aussi pouvoir être
invoqué sous peine de violer le principe constitutionnel d’égalité.
- L’intervention des autorités disciplinaires
Conformément à ce que prévoit la loi, lorsque le secret professionnel est invoqué, il revient à
l’administration fiscale de solliciter l’intervention de l’autorité disciplinaire compétente afin
d’apprécier si oui ou non les données sont effectivement soumises au secret professionnel.
Enfin la Cour d’appel de Gand estime qu’en règle, le droit de visite accordé à l’administration fiscale lui permettant de prendre connaissance et copie de tous les livres, documents et données numériques, ne lève pas la confidentialité qui serait attachée à une partie de ces données : « le droit de visite atteint sa limite là où commence la confidentialité ».
COMMENTAIRE
L’arrêt de la Cour d’appel de Gand doit être approuvé.
Alors que l’administration tend à considérer son droit de visite de plus en plus comme un droit de perquisition, cet arrêt rappelle opportunément que le droit de visite est assorti de limites à ne pas franchir.
Comme analysé dans une précédente lettre d’information, la Cour de cassation a déjà rappelé à ce propos que le droit de visite nécessite le consentement continu du contribuable, consentement qui peut être retiré à tout moment.
Cependant, à l’instar de la Cour d’appel de Gand, on ne peut que déplorer l’absence d’intervention du législateur afin de circonscrire le droit de visite fiscal en respectant de manière équilibrée les droits et devoirs divergents de l’administration d’une part et du contribuable d’autre part.
Date: 12/12/2024
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